Covid-19 et droite radicale
Les partis politiques de la droite radicale et de l’extrême-droite ont rapidement compris, en Europe, le profit qu’ils pouvaient tirer de la critique de leurs gouvernements respectifs dans la gestion de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19. Leur communication politique a suivi trois axes principaux: la remise en cause de l’origine animale de l’épidémie à partir de la Chine, par le recours à plusieurs théories complotistes; la critique de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, présentées comme la cause première de la propagation du virus ; le doute sur l’opportunité du confinement et du port du masque, mesures gouvernementales prises dans de nombreux pays pour limiter l’épidémie et considérés par les droites radicales comme des atteintes supposées aux libertés individuelles des citoyens, de la part d’un Etat considéré comme mettant en place un système quasi-totalitaire selon le modèle anticipé par George Orwell.
Davantage que la mise en cause de l’immigration dans la propagation de la pandémie, c’est ce dernier sujet qui est le plus porteur pour les droites (et dans certains cas, les gauches) radicales dans la mesure où il leur permet d’inverser l’accusation d’être anti-démocratiques. Lorsque Marine Le Pen, au nom du Rassemblement national, accuse le gouvernement et le Président Macron d’avoir mis en place un «mensonge d’Etat» pour cacher aux français l’impréparation du pays face à l’épidémie; lorsqu’ensuite elle s’inquiète du système de tracking des malades du COVID et se fait le défenseur du secret médical, elle se pose en championne des droits du citoyen face à un Etat qui désigne son parti comme un ennemi de la démocratie mais qui lui-même, cache la vérité au peuple et prend des mesures liberticides. Consciente que cela desservirait sa stratégie de normalisation, elle n’a toutefois pas basculé dans la théorie du complot, alors qu’à l’inverse Marian Kotleba, leader du parti d'extrême droite Parti populaire «Notre Slovaquie» (LSNS, 8% des voix) se déclarait persuadé que le traçage des personnes testées positives au COVID aboutira à ce qu'on implante des puces sous la peau de tous les citoyens.
La mobilisation contre les mesures de distanciation sociale, importante sur les réseaux sociaux, tente parfois de se transformer en mouvement politique. En Allemagne, un mouvement intitulé «Penser contre la marée» a rassemblé 20,000 personnes pour réclamer la fin du confinement et de toutes les mesures, telles l’interdiction des rassemblements et le port du masque, prises par le gouvernement Merkel. Les slogans des manifestants s’affirmaient hostiles à la «dictature» que «les élites» auraient imposée en «propageant la panique» afin de créer les conditions psychologiques favorables à un contrôle policier permanent du comportement des citoyens. On vit défiler côte-à-côte un véritable melting-pot idéologique: activistes de la gauche alternative, partisans des thérapies non-conventionnelles hostiles aux vaccins; complotistes de tous bords qui voient dans tout événement la main cachée de «la finance internationale» et de grands acteurs de l’économie globalisée (Bill Gates; George Soros); extrémistes de droite, notamment des «Reichsburger» qui considèrent la Constitution allemande comme illégitime.
Ce type de protestation, qu’on vit aussi aux Etats-Unis être instrumentalisées par la Alt-Right, n’est qu’un des aspects d’un phénomène plus large: les droites radicales, qu’on pense généralement vouloir instaurer un Etat fort, que la gauche accuse même souvent de tentation totalitaire, se posent désormais en rempart du droit des individus à échapper au contrôle de leur vie privée par les autorités. Matteo Salvini et Giorgia Meloni en Italie, ont protesté contre les mesures de confinement prolongé prises selon eux sans concertation par le gouvernement Conte. L’élu européen de Vox Jorge Buxadé a reproché au gouvernement de Pedro Sanchez d’avoir soustrait au contrôle parlementaire les mesures de confinement qui ont limité la liberté de circuler.
Ce thème des droites radicales défendant le simple citoyen contre «Big Brother» va prendre de l’essor pour devenir aussi important que la question migratoire. Il rejoint en effet d’autres critiques émises par les radicaux contre la suppression de comptes extrémistes et complotistes sur les réseaux sociaux par exemple, une question sur laquelle le Parlement français a légiféré pendant le confinement, provoquant là aussi l’hostilité du Rassemblement national, persuadé que le contrôle de ce que pensent les citoyens, de ce qu’ils disent et écrivent, s’ajoute au contrôle de leurs comportements dans l’espace public pour aboutir à une forme insidieuse de dictature. Ce nouveau combat des droites radicales pour les libertés et contre les pouvoirs régaliens d’Etats désormais jugés illégitimes doit être pris au sérieux par les libéraux et les socio-démocrates, qui risquent d’être dépassés sur un sujet qui est, en principe, au cœur de leur projet politique.